| "Pourquoi aller si loin, vous êtes fous ? "
Eh oui, combien nous ont ainsi traités ?
Il est vrai que nous n'étions guère rassurés.
Nous étions 10 à nous lancer sur les pistes turques,
10 qui n'apprécient plus les plages
où s'amoncellent à perte de vue des corps désœuvrés,
10 qui recherchent volontiers les coins plus tranquilles...
sinon moins ...civilisés...
Faut-il vous dire toutes les difficultés des préparatifs
(visas, devises, voitures, carnets de douane...)
Passons les sous silence et venons en au fait..!
Le 28 juillet nous montions donc nos montures à bord de l'Agamemnon
un des bateaux grecs les plus réputés .
Fendant la grande bleue il nous mena en 6 jours jusqu'à Beyrouth.
En cours de traversée, escale à Athènes capitale antique et moderne
où se mélangent les chapiteaux croulants de l'Acropole
et la publicité made in USA...
A Alexandrie en Egypte fiévreuse nous ne ferons qu'une courte incursion
dans le marché arabe... beaucoup trop bruyant pour nous...
De Chypre nous ne verrons que les côtes... et le 4 août
c'est le débarquement à Beyrouth... capitale du Liban et du bruit...
Là l'essence n'est pas chère et les petites voitures quasi inexistantes.
Nos trois 2cv n'en furent que plus remarquées
parmi les embouteillages incessants de "Cadillac bateau"...
Le Liban est un pays montagneux
où l'on peut dans la même journée se baigner dans la mer
et passer un col enneigé à 2600m.
Pays des cèdres aussi, il n'en reste que 12 mais combien majestueux...
La Syrie hostile est bien vite traversée et voici enfin..
cette Turquie dont nous parlions depuis des mois !
Terre brûlante de soleil, aride, terre sympathique...
partout nous serons bien accueillis.
Nous prenons contact avec elle à proximité d'Antioche.
Autant dire que nous rentrons par la même occasion
dans une poussière tenace qui ne nous quittera qu'à Belgrade...
La Turquie n'a pratiquement pas de routes goudronnées
et bien qu'elle fasse un effort les chemins de campagne de nos régions
peuvent soutenir la comparaison avec les routes nationales turques.
Nous voyagerons donc dans un nuage de poussière
dont les grains s'infiltrent partout...
jusque dans les obturateurs de nos appareils photos...
Ceci ne nous a pas empêchés d'aimer la Turquie
ce pays aride brûlé par le soleil, pays de déserts
pays des merveilles de Cappadoce, pays pauvre...
Oui le turc est pauvre mais il semble heureux, habitué à sa vie simple,
il cultive calmement un dur morceau de terre aidé d'un âne (toute sa fortune )
qui traîne péniblement un rustique chariot aux roues en bois plein
qui cahote sur la piste...
les gosses aux cheveux rasés gardent en jouant
d'immenses troupeaux de zébus et accourent pour nous voir de plus près lorsqu'un nuage de poussière leur fait présager un véhicule...
Et les femmes pensez-vous !..
Et bien la femme n'est pas et de loin... l'égale de l'homme,
tandis que celui ci se laissera doucement porter par son âne
elle suivra pieds nus dans les cailloux du chemin..
Elle ne s'exhibe pas dans un lieu public, ne parle pas à un homme en public
et lorsque nous la croisons elle relève , machinalement un pan de foulard
jusqu'aux yeux qui laissent parfois transparaître une beauté ignorée...
Le foulard noué sur la tête maintien un peu la tradition du voile
tout en protégeant les cheveux de la poussière.
Dans les villes la citadine est quand même plus évoluée.
A Ankara à Istanbul ce voile disparaît sauf chez quelques femmes âgées.
Néanmoins même là,
la séparation entre homme et femme est toujours marquée.
Femme et filles de France plaignez-vous !
Ah voici une question qui nous à été souvent posée depuis notre retour:
la cuisine ?
sans vouloir être chauvin nous préférons de beaucoup un bon steak
à une fricassée de mouton gorgée d'huile d'olive.
Devant notre gratin dauphinois nous sommes beaucoup plus réjouis
qu'attablés face aux aubergines farcies.
Ce que nous avons apprécié ?
le yogourt rien de plus rafraîchissant
qu'un "petit" pot de 500gr de ce délectable fromage...
la pastèque appréciée les premiers jours nous dégoûtant bien vite...
Il faut quand même dire deux mots de la plus belle ville, d'Istambul,
nous y sommes arrivés un soir alors
que le soleil se couchait au-dessus du Bosphore,
spectacle inoubliable, merveilleux...
le lendemain nous visiterons la célèbre ville,
innombrables mosquées, St Sophie, Mosquée bleue...
non moins innombrables fontaines,
minarets s'élançant vers le ciel...
Mais arrêtons ici le cours de ces si agréables souvenirs....
pour réintégrer la France
il nous fallut traverser le nord de la Grèce, peu intéressant,
avant de prendre un bain en mer Egée
et de pénétrer en Yougoslavie où un accueil inoubliable nous était réservé.
A peine arrivés un policier étoilé de rouge
et particulièrement emballé nous dressa gentiment une contredanse
au motif de "stationnement dans un quartier interdit aux étrangers"
du coup de Skopje à Zagreb
nous eûmes une frousse terrible
de ces messieurs de la maréchaussée yougoslave..
Tout en admirant sans réserve
la docilité de ce peuple si bien plié au régime totalitaire...
Pour nous remettre un plat énorme de spaghettis
nous attendait à Trieste, il sentait bon l'Italie,
mais aussi la France, nos trois 2cv galopant de leurs 12 roues (!!!)
nous y ramenaient intacts, pleins de souvenirs et heureux.
En 1 mois nous venions de parcourir quelques 10000km...
Que conclure ? Primo: qu'avec un peu d'initiative on peut s'évader
de notre vie de tous les jours et passer des vacances profitables...
secundo : que sans être Crésus nous vous l'assurons
on peut se "permettre" un long voyage...
tertio : que déjà nous cherchons un autre coin de notre vieille Europe
pour y flâner aux prochaines vacances...
Nous sommes pleins d'espoir, nous sommes revenus...
un peu fatigués d'accord, passablement désargentés d'accord,
mais si heureux de connaître que nous avons envie de crier "bis"....
ce texte à été écrit en septembre 1956..
quelques semaines plus tard le moyen orient s'embrasait..
nous sommes souvent retournés en Turquie...! |
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